Les relations entre la peinture occidentale et la littérature relèvent d’une longue histoire fondée sur un parallèle qui, de l’antiquité au XVIIIe siècle demeura celui du « ut pictura poésie », une histoire néanmoins tumultueuse et paradoxale en fonction des époques et de la nature des écrits : récit, narration, fiction, roman, poésie ou encore mots.
La peinture a dans un premier temps entretenu avec le récit littéraire des liens de subordination, ce dernier la contraignant bien souvent conceptuellement.
Parallèlement la « ut pictura poésie » prenant modèle sur la rhétorique permit au verbe de conserver durant tous ces siècles toute sa suprématie, ce qui en pratique, fit de l’allégorie le mode majeur de l’expression picturale.
Le texte rédigé en 1749 par Charles-Antoine Coypel, premier peintre du roi, académicien et auteur dramatique : « parallèle de l’éloquence et de la peinture » est à cet égard riche d’enseignements ; il y compare les grandes divisions du discours et les procédés de la peinture et il dresse ainsi un parallèle systématique entre les principales figures rhétoriques et leurs équivalents picturaux.
On pourrait dire en simplifiant que la peinture comme la littérature furent très longtemps des arts de conter, c’est-à-dire de transmettre par le verbe ou l’image un récit et une séquence temporelle, et parallèlement, qu’elles sont et qu’elles demeurent des formes de productions matérielles et cognitives qui se situent au cœur même de l’activité humaine, là où l’humanité se constitue une mémoire et une histoire (donc un récit) et où elle se donne une science et des représentations idéologiques.
Se poser la question du traitement de l’art et des œuvres et de leurs relations au récit littéraire signifie donc s’interroger sur la façon dont une forme d’expression se saisit d’une autre ou plus précisément comment l’une s’incarne dans l’autre, comment s’opère ce passage et quelle plus-value esthétique et conceptuelle cette appropriation picturale apporte au récit.
Car si l’on peut faire des rapprochements entre ces deux formes de création et notamment le fait de faire récit et de nous conter des histoires, il faut également mettre en exergue une différence majeure, à savoir que le récit littéraire est tributaire intrinsèquement de l’écoulement temporel et qu’il s’avère a contrario en difficulté lorsqu’il aspire à capter l’instant et l’immédiateté, des facultés que l’on a considérées fort longtemps comme le privilège de la vision et de ses œuvres et c’est précisément cette faculté, (saisir l’instant) qui va, à partir de la fin du XIXe siècle, participer d’une forme de renversement des influences, les écrivains (pour certains d’entre eux tout au moins) se mettant à jalouser le pouvoir d’évocation de la peinture et sa capacité à rendre compte des impressions émanant du surgissement.
On peut citer à cet égard Marcel Proust qui déclarait vouloir fixer l’instantanéité et le pur présent afin d’accéder à la révélation du sens caché sous l’impression, ces impressions irrésistibles et confuses et néanmoins impératives qui font la matière énigmatique de l’écriture.
L’instantané est, dans l’œuvre de Proust, une puissance de révélation (la mémoire involontaire) productrice de fictions, qui permet à l’écriture d’échapper à la subjectivité conditionnée par l’habitude, et cette aptitude, Proust la perçoit initialement dans la peinture et dans la photographie. Chacun se souvient à cet égard de la déclaration de l’écrivain Bergotte, dans À la Recherche du temps perdu, qui au seuil de sa vieillesse, alors qu’il admirait le tableau de Vermeer du port de Delft et son fameux petit mur jaune, s’exclama : « C’est comme ça que j’aurai souhaité écrire ».
Mais on pourrait également citer, à titre d’exemples, Baudelaire qui déclarait qu’écrire sur la peinture permettait d’élaborer une réflexion sur la pratique littéraire, Rilke qui, confronté à l’œuvre de Cézanne, dira que la poétique se dégage parallèlement de l’esthétique, Henry James et son ouvrage Les Ambassadeurs qui fut inspiré par le tableau d’Holbein, William Carlos Williams face aux tableaux de Brueghel, etc.
Sur cette même période, soit la première moitié du XXe siècle, ainsi que durant les années 1960/1970, les arts plastiques, semblent, quant à eux, à quelques exceptions près (la figuration narrative par exemple), avoir pris leur distance à l’égard du récit littéraire, et il faudra attendre l’avènement de la postmodernité (soit les années 1980) pour que le récit et la fiction fassent leurs grands retours.
Cette exposition des œuvres de Ian Simms, Korreltjie klein is my woord, inspirée des poèmes de la poétesse d’Afrique du Sud Ingrid Jonker, et celle des œuvres du Frac (sur un commissariat des étudiants de la classe préparatoire de l’école d’art intercommunale IDBL de Digne-les-Bains), ainsi que les conférences qui les accompagnent, tentent donc modestement de faire un point sur cette résurgence, sur leurs nouvelles modalités et leurs nouvelles formes, afin d’en comprendre les raisons et d’essayer d’entrevoir ce qu’elles nous racontent du temps présent.
Laurent Charbonnier, directeur du Bild
Korreltjie klein is my woord
du 14 décembre 2019 au 15 février 2020
Centre Bild - Bureau d’implantation des lignes
Ecole d’art idbl intercommunale
24, avenue Saint-Véran, 04000 Digne-les-Bains
Ouvert du lundi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 18h sauf le vendredi jusqu’à 17h
Fermeture vacances scolaires
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