Savoir-faire œuvre

Transmettre le geste et l’envie

Une initiative inclusive et originale du Frac qui porte sur la transmission des savoirs.

L’intention en est de consolider les liens entre les différents acteurs du territoire en associant des lycées professionnels et des artistes. Une première commande est passée en 2018 au lycée professionnel Poinso-Chapuis, à Marseille, pour l’artiste Claude Lévêque, bien connu pour ses créations d’espaces ou d’atmosphères. La réalisation d’un guéridon géant Louis XV, au cœur de l’installation Back to Nature, s’inscrit dans un très beau compagnonnage entre l’artiste, les enseignants et les élèves. Cette exposition reste un moment fondateur de la dynamique. En 2019, une deuxième commande porte sur la réalisation de caisses de stockage et de transport pour des œuvres de Bruno Botella, Karim Ghelloussi et Cédric Teisseire, appartenant à la collection du Frac. En 2020, un nouveau partenariat est noué pour le réaménagement végétal et mobilier de la terrasse intérieure du Frac. Le lycée professionnel Poinso-Chapuis, toujours, et le lycée agricole Les Calanques réfléchissent cette fois avec l’artiste Olivier Bedu et le collectif Par ailleurspaysages à la transformation de cet espace. Ces vraies commandes et la rencontre avec des artistes permettent aux lycéens d’appréhender l’art et de se poser la question de son rôle dans la société d’aujourd’hui. C’est aussi l’occasion de réfléchir, avec les enseignants, sur les moyens d’allier créativité et compétences, beauté et utilité.

La découverte d’un vivier de compétences
Ce projet est le fruit de nombreux échanges avec des artistes, en tout premier lieu avec Emmanuel Barrois, maître-verrier installé en Auvergne à Brioude, qui a réalisé la façade du Frac. « Très sensible aux porosités et affinités entre les métiers d’art et la création contemporaine, qu’elles soient dans le champ des arts visuels ou de l’architecture, j’ai mesuré au cours de nos échanges à quel point il y avait un potentiel incroyable de compétences et de savoir-faire au sein des lycées professionnels et des centres de formation d’apprentis », rapporte Pascal Neveux. « Je tenais vraiment à mettre en place des passerelles avec ces établissements, car on ne mesure pas combien ils sont précieux aujourd’hui dans notre système éducatif et combien ils sont à l’écoute et désireux de s’ouvrir à des formes de compagnonnage nouvelles, poursuit le directeur du Frac. Les artistes font régulièrement appel à des artisans, des ingénieurs, pour concevoir et réaliser leurs œuvres. J’y voyais là une façon très originale d’allier une dimension pédagogique à une exigence de production. Dimensions auxquelles le public est très sensible. »
Ces premières intentions se sont enrichies de discussions avec un artiste qui vit et travaille à Marseille, Yazid Oulab, exposé en 2013 dans le cadre de l’ouverture du Frac. Ce dernier évoque très vite le lycée Poinso-Chapuis à Marseille, avec lequel il réalise un certain nombre d’éléments de mobilier pour présenter ses œuvres. L’idée germe alors de mettre sur pied des rapprochements avec des lycées professionnels.

L’aménagement de la terrasse
Le projet est mixte, avec un volet construction de mobilier et un volet végétalisation. Deux établissements scolaires ont donc été invités à prendre part au projet : le lycée professionnel Poinso-Chapuis et le lycée agricole Les Calanques. L’artiste-architecte Olivier Bedu a été sollicité pour le mobilier – le Frac a récemment fait l’acquisition d’une pièce de sa série Petites Utopies.
« Je me reconnais dans ce type de démarche participative, j’aime le rôle confié à la réflexion commune, je ne suis pas là pour imposer mais accompagner la mise en place d’un projet : comment le construire, avec quels moyens, quelles compétences. » Une première séance avec les classes concernées et leurs enseignants a permis de se retrouver sur la terrasse du Frac pour considérer, comprendre le lieu et planter un état d’esprit, « saisir les enjeux par rapport au voisinage, aux usages, aux besoins du Frac, à ses qualités urbaines… », explique Bedu.

« Quand on y met du concret »
Au lycée Poinso-Chapuis, Cédric Bahuaud est professeur de charpente de marine. Avec deux classes, il doit réaliser la structure en bois dans laquelle s’inscriront huit assises. « Un projet comme celui-ci donne du sens à l’apprentissage, glisse-t-il. Cela sensibilise les jeunes à d’autres choses. Ils peuvent être dubitatifs devant l’art contemporain, mais quand on y met du concret… » Et de souligner la fierté que tous en retirent au moment de la présentation de leur travail. Dans le même lycée, Habib de Vos est, lui, professeur de marqueterie-ébénisterie. C’est au plaquage des dossiers des assises qu’il s’est attaqué avec ses élèves. L’idée retenue est d’y intégrer des logos qui parlent aux jeunes – Playstation, le panneau autoroute ou encore le symbole du chanteur Jul. « Nous allions nous attaquer à la fabrication lorsque le Covid nous a interrompus, regrette l’enseignant. Mais nous allons reprendre. Qu’ils adhèrent ou pas, les élèves sont responsabilisés, tenus par des délais, des dates, et un vernissage qui met en lumière leur travail, qui les valorise. »

« Des choses chouettes qui surgissent »
Pour la partie végétale, Fanny Vesco, paysagiste et membre du collectif Par ailleurs-paysages est à la manœuvre. En raison de la crise sanitaire, une seule séance de travail a pu se tenir, pour dresser l’état des lieux : sélectionner les végétaux à conserver, les tailler légèrement en accompagnant leur mouvement, arracher les autres « parce qu’ils ne sont pas adaptés à l’environnement ou en mauvaise santé », préparer le sol aux futures plantations, apporter du fumier composté. Ce type de projet plaît beaucoup à cette spécialiste de la question du paysage en ville : « Pour comprendre le rapport des gens au végétal, nourrir notre propre pratique. Il y a des échanges et des choses chouettes qui surgissent. » Paysagiste et professeur d’aménagement paysager au lycée Les Calanques, Fabien Dupont encourage ce type de commande : « C’est une option. Donc les jeunes qui travaillent sur le projet sont volontaires. Ouverts à la découverte d’autres outils, des liens avec l’art. Cela peut même donner à certains l’envie de poursuivre des études supérieures. » Les élèves produisent dessins, schémas, coupes, creusent des idées. Et se montrent curieux et impatients de pouvoir contempler le résultat final.

Un budget assez frugal
Nous sommes dans une économie générale très modeste, où les coûts sont mutualisés. Chacun apporte ses ressources, ses financements et ses compétences en nature. Les projets représentent quelques milliers d’euros, mais la contrainte majeure est plutôt celle du calendrier scolaire, qui en définit le cadre. Dans ce type d’expérience, les écueils sont nombreux mais la mobilisation et la solidarité des enseignants permettent de passer outre. Car il y a là un terrain de jeu fantastique qu’il faut continuer à explorer et à partager avec le plus grand nombre.

Nathania Cahen
Pour Marcelle média et Ce même monde