Pat McCarthy, Brick by Brick

Commissariat : Laura Morsch-Kihn

Pat McCarthy a débuté son fanzine au titre choc Born to Kill alors qu’il parcourait seul, à pied, les Etats-Unis. Le fanzine lui apparut comme le medium idéal pour raconter ses pérégrinations sous forme de « road stories » en interagissant avec les personnes croisées sur la route et au-delà.

De retour à New York, il s’invente et se fabrique son propre outil de travail ambulant : une mobylette équipée d’un barbecue à gaz lui permettant de griller des sandwichs au fromage qu’il vend un dollar pièce dans les rues de New York, de vernissages branchés en bars malfamés. Ici, c’est au travers de la série « Cheesebike » que l’on suit ses nouvelles aventures qui mêlent rencontres nocturnes, objets bricolés, recettes et journal comptable, exposant, au quotidien, les exigences et les récompenses financières d’une activité illégale.

Installé à Bushwick, son attention se concentre sur le paysage immédiat. Il débute, alors, un élevage de pigeons sur le toit de son immeuble. Les pigeonniers, baptisés Babylon, qui abrite une centaine d’oiseaux, sont à l’origine de tout un ensemble de pratiques : architecture, chorégraphie, envols de pigeons, céramique, biologie, ornithologie, sociologie… Il consacre à cette nouvelle activité la série « Pigeoning », qui reste à ce jour son travail le plus étendu.

Lieu de performance, d’expérience, de construction de soi et d’imaginaire, le fanzine, chez Pat, articule une multitude de fonctions : essai littéraire, journal de travail, carnet de voyage, dépôt d’archive, photo-journal… Pour son lecteur, c’est une intervention directe et clandestine dans la sphère privée de son quotidien. Relevant d’une esthétique de l’existence au sens de Michel Foucault et Pierre Hadot, le fanzine relève, ici, d’un processus de création où la poésie, la mobilité, l’interaction, l’artisanat et la débrouillardise deviennent autant de tactiques au sens de Michel de Certeau pour s’inventer un quotidien où viennent se confondre l’art et la vie.

Héritier d’une esthétique punk alliant radicalité et bricolage et reflétant son statut — si statut il y a — d’artiste autodidacte, la pratique du fanzine est pour Pat de l’ordre d’un manifeste : « Dans la fabrication d’un zine, l’artiste utilise des outils basiques et universels pour articuler et distribuer ses idées : papier, stylo, photocopieur noir et blanc. Au quotidien, tu transporte ces outils dans ton sac à dos et les photocopieurs, eux, t’attendent dans chaque ville à travers le monde. » Ce minimalisme délibéré de l’artisanat permet aux zines de se concentrer sur le contenu et le concept. L’information, non filtrée, circule de manière brute, des mains de l’artiste à celle du regardeur. Le photocopieur fait ressortir les marques psychiques de construction de la copie originale. Les Zines sont des constructions d’expériences tridimensionnelles. Les pages sont des briques. Et les briques sont des jours de travail. Des séries “d’étapes et d’actions” ».

Avec Pat McCarthy, le fanzine devient un nouveau lieu où l’art peut se faire.

Il s’agit alors d’imaginer une exposition qui, telle une cartographie des territoires du fanzine et autres terrains irrigués, nous transporte à travers un millier de pages ouvertes qui construisent, Brique par brique, une architecture sans architecte. Clouées à même les murs, celles-ci apparaissent comme à la fois art et document. En l’absence de tout classement, elles constituent une archive sauvage autant qu’une multitude d’œuvres.

De ces pages sortent des sculptures comme une mise en abyme du jeu de correspondances entre le zine et les autres media utilisés par l’artiste. Sans hiérarchie aucune, chacun devient matière pour l’autre ou forme d’inspiration. Ici, c’est tout un processus de création qui se dévoile. La précarité du papier se transpose sur une plaque de céramique pour en faire une œuvre quasi éternelle. Le zine entrouvert inspire un perchoir à oiseaux. Le film super8 Flights se regarde telle une succession de photocopies. Le Chariot de papier est une invitation à l’en-dehors, à la déambulation urbaine et au glanage. Un outil d’action capable de produire de l’art là où l’on ne l’attend pas, un mode de relation à l’autre en mesure de susciter la rencontre, créant ainsi une succession de situations telles des « micro-espaces publics ».

Le recours à des techniques ancestrales ou tombées en désuétude, offre, ici, leur potentiel poétique et narratif comme autant de marques de résistance de la part de l’artiste face à un monde consumériste à l’obsolescence programmée. Pat cherchant à transporter, pas à pas, le regardeur-lecteur dans un monde bricolé où le sauvage interagit avec le domestique, avec toute liberté de se construire sa propre narration.

Laura Morsch-Kihn, commissaire de l’exposition.

  • plateau expérimental

    20 Boulevard de Dunkerque

    13002 Marseille